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Patriarches et Prophètes
Ému, surpris, terrifié, le vieillard aveugle apprend la mystification
dont il vient d’être la victime. Son espoir, si longtemps caressé,
est réduit à néant. En outre, il sympathise profondément avec le
désappointement de son fils aîné. Mais soudain, il sent s’imposer à
lui la conviction que c’est Dieu qui vient de dissiper son projet et
de permettre la chose même qu’il a si longtemps voulu empêcher.
Il se souvient des paroles de l’ange à Rébecca et, malgré la faute
dont Jacob vient de se rendre coupable, il reconnaît que celui-ci est
le plus digne de réaliser le dessein de Dieu. Du reste, en bénissant
Jacob, n’a-t-il pas ressenti en lui la puissance de l’Esprit divin ?
En présence de tous ces faits, il ratifie la bénédiction qu’il a tout à
l’heure inconsciemment donnée à Jacob : “Je l’ai béni... ainsi donc
il restera béni
”
Ésaü avait fait peu de cas de la bénédiction tant qu’elle semblait
à sa portée. Maintenant qu’elle lui échappe pour toujours, il la désire
de toute la puissance de sa nature impulsive et passionnée. Sa dou-
leur, mêlée de rage, éclate en un cri amer et terrible : “Bénis moi,
moi aussi, mon père !... N’as-tu point réservé une bénédiction pour
moi ?” Hélas ! la promesse donnée ne pouvait être rappelée. Le droit
d’aînesse, follement abandonné par lui, ne pouvait plus être récupéré.
“Pour un plat”, pour la satisfaction momentanée d’un appétit qui
n’avait jamais connu de frein, Ésaü a vendu son héritage, et main-
tenant qu’il reconnaît sa folie, il est trop tard. “Voulant obtenir la
bénédiction paternelle, il fut repoussé ; car, bien qu’il l’eût demandée
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avec larmes, il ne put faire changer son père de résolution
” Ésaü
n’était pas exclu de la grâce divine qui s’obtient par la conversion.
Mais le droit d’aînesse ne pouvait plus lui échoir. D’ailleurs, il ne
désirait pas se réconcilier avec Dieu. Sa douleur était due, non au
sentiment de ses péchés, mais aux conséquences de ceux-ci.
Ésaü, que l’Écriture appelle “un profane
, représente ceux qui
mésestiment la rédemption acquise par Jésus-Christ et qui sont prêts
à sacrifier l’héritage du ciel aux biens périssables de la terre. Des
multitudes de gens vivent pour le présent, sans accorder une pensée
ni une préoccupation à l’avenir. Avec Ésaü, ils répètent : “Mangeons
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Genèse 27 :33
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Hébreux 12 :16, 17
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Hébreux 12 :16, 17