Page 155 - Patriarches et Proph

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Jacob et Esaü
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de l’honneur qui lui revient, est en danger d’encourir le déplaisir
du ciel. En vain, elle a essayé sur Isaac la force du raisonnement ;
maintenant, elle se décide à recourir à la ruse.
Dès qu’Ésaü est parti pour la chasse, elle se prépare à mettre
son projet à exécution. Elle informe Jacob de ce qui se passe, et
elle insiste sur la nécessité, si l’on veut prévenir l’acte final et irré-
vocable, d’agir immédiatement. Elle ajoute que s’il veut suivre ses
instructions, il obtiendra la bénédiction découlant de la promesse
divine. Jacob n’entre pas immédiatement dans le plan de sa mère.
Il est très angoissé à la pensée de tromper son père. Cette action,
pense-t-il, lui vaudra plutôt une malédiction qu’une bénédiction.
Bientôt, cependant, ses scrupules calmés et surmontés, il cède à la
suggestion de Rébecca. Il n’a pas l’intention de recourir directement
au mensonge ; mais, une fois en présence de son père, il croit avoir
été trop loin pour battre en retraite et il obtient par la fraude l’objet
de ses vœux les plus chers.
Jacob et Rébecca avaient réussi. Mais de leur tromperie il ne
devait résulter que de grands chagrins. Dieu avait annoncé que le
droit d’aînesse reviendrait à Jacob. S’ils avaient attendu avec foi
et laissé le Seigneur opérer en leur faveur, cette promesse se serait
accomplie à son heure. Mais, comme beaucoup de gens qui se disent
chrétiens, ils ne consentaient pas à abandonner la chose entre ses
mains. Rébecca se repentit amèrement des mauvais conseils qu’elle
avait donnés à son fils : son acte eut pour effet de l’en séparer à
toujours. Elle ne devait, en effet, plus revoir son visage, et Jacob, dès
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lors, ne connut plus que le remords. Il avait péché contre son père,
contre son frère, contre son âme et contre Dieu. En une seule heure,
il s’était condamné à toute une vie de regrets, surtout lorsque, des
années plus tard, l’inconduite de ses fils vint assombrir son existence.
A peine Jacob était-il sorti de la tente de son père qu’Ésaü rentra
de la chasse. Quoiqu’il eût aliéné son droit d’aînesse et confirmé cet
acte par un serment solennel, il était maintenant déterminé, quelles
que fussent les prérogatives de son frère, à en réclamer le profit. Aux
grâces spirituelles du droit d’aînesse se rattachaient des bienfaits
d’ordre temporel, tels que la primauté et une double part dans l’hé-
ritage paternel, les seuls qu’Ésaü pût apprécier. “Que mon père se
lève, dit-il, et qu’il mange de la chasse de son fils afin que son âme
me bénisse.”