Le déluge
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secrètement : “Serait-il vrai que Noé ait raison, et que l’humanité
soit vouée à la destruction ?” Cependant, le ciel devenait de plus en
plus sombre et les rafales de pluie se succédaient, de plus en plus
abondantes. En proie à une folle terreur, les animaux erraient en
tous sens, et semblaient, par leurs cris discordants, se lamenter sur
leur destinée et celle de l’humanité. Alors, “toutes les sources du
grand abîme et les écluses des cieux s’ouvrirent”. L’eau descendit
des nuages en véritables cataractes. Les fleuves débordants inon-
dèrent les vallées. Des trombes d’eau sortant du sein de la terre
avec une force indescriptible projetèrent à cent et deux cents mètres
de hauteur des masses de rochers qui, en retombant, s’enfoncèrent
profondément dans la terre.
Les hommes contemplèrent tout d’abord la destruction des ou-
vrages de leurs mains. Leurs somptueuses demeures, ainsi que les
jardins et les bosquets délicieux où ils avaient érigé leurs autels
idolâtres, furent anéantis par la foudre, qui en dispersa les débris.
Les autels sur lesquels on offrait des sacrifices humains ayant dis-
paru, leurs adorateurs purent voir, en tremblant, la puissance du Dieu
vivant semer la destruction sur les objets de leur égarement.
La fureur de l’orage allait en augmentant. Arbres, constructions,
rochers et bancs de terre étaient projetés dans toutes les directions.
Plus haut que le rugissement de la tempête s’élevaient les clameurs
déchirantes des multitudes qui avaient renié l’autorité de Dieu. Satan
lui-même, contraint de rester au milieu des éléments déchaînés,
n’était pas sans crainte pour sa propre existence. Frustré de la joie de
conduire à son gré une race d’hommes puissants et de l’espoir de la
voir poursuivre ses abominations et sa révolte contre le Roi du ciel,
il se répandait en imprécations contre ce qu’il appelait l’injustice et
la cruauté de Dieu.
De même, certains hommes blasphémaient Dieu, et ils l’auraient
volontiers renversé de son trône s’ils l’avaient pu. D’autres, éperdus
de terreur, tendaient leurs mains vers l’arche, en implorant ses hôtes
de les recevoir. Leur conscience, tardivement réveillée, leur disait
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qu’il y a un Dieu qui gouverne l’univers. En vain, à grands cris, ils
s’adressaient à lui : ses oreilles étaient fermées à leurs supplications.
A cette heure néfaste, ils reconnaissaient que la cause de leur ruine
était leur désobéissance à une loi sainte et bonne. Le mobile de
cette confession était la crainte du châtiment et non un véritable