Joseph et ses frères
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serviteurs. Nous voici maintenant les esclaves de mon seigneur, nous
et celui entre les mains duquel s’est trouvée la coupe.
”Joseph s’écrie : Loin de moi la pensée d’agir ainsi ! Celui entre
les mains duquel a été trouvée la coupe sera mon esclave ; mais vous,
retournez en paix chez votre père.”
Alors, en proie à une détresse inexprimable, Juda s’approche
de Joseph et lui dit : “De grâce, seigneur ! Permets, je te prie, à ton
serviteur de faire entendre une parole aux oreilles de mon seigneur,
et puisse ta colère ne point s’enflammer contre ton serviteur ; car
tu es l’égal du Pharaon.” Avec une touchante éloquence, il décrit la
douleur de son père lors de la perte de Joseph, et avec quel déchire-
ment il a consenti à se séparer de Benjamin, le seul fils qui lui reste
de sa femme Rachel, qu’il avait tant aimée.
“Maintenant, quand je retournerai auprès de ton serviteur, mon
père, si le jeune homme dont l’âme est liée à son âme n’est pas
avec nous, dès qu’il verra que le jeune homme est absent, notre
père mourra. Ainsi tes serviteurs feront descendre, sous le poids
de la douleur, les cheveux blancs de ton serviteur, notre père, dans
le séjour des morts. Du reste, ton serviteur a répondu de ce jeune
homme, en disant à son père : Si je ne te le ramène pas, je serai pour
toujours coupable envers mon père.”
Et Juda conclut : “Maintenant donc, je te prie, que moi, ton
serviteur, je puisse rester l’esclave de mon seigneur à la place du
jeune homme, et que ce dernier puisse remonter avec ses frères.
Comment, en effet, pourrais-je remonter chez mon père, si l’enfant
n’est pas avec moi ? Non, je ne saurais voir la douleur dont mon père
serait accablé !”
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Joseph est satisfait. Il constate chez ses frères les fruits d’une vé-
ritable conversion. A l’ouïe de l’offre magnanime de Juda, il s’écrie :
“Faites sortir tout le monde !” Puis il éclate en sanglots : “Je suis
Joseph”, leur dit-il d’une voix étranglée. “Mon père vit-il encore ?”
A ces mots, ses frères sont comme paralysés et restent muets d’épou-
vante. Quoi ! le gouverneur de l’Égypte, c’est Joseph, ce frère tant
jalousé, ce frère qu’ils étaient prêts à mettre à mort et qu’ils avaient
vendu comme esclave ! Tous les mauvais traitements dont ils l’ont
accablé repassent devant leurs yeux. Ils se souviennent comment ils
se sont moqués des songes de sa jeunesse ; par quel crime ils ont
tenté d’en empêcher l’accomplissement, auquel cependant ils ont