Joseph et ses frères
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Joseph leur avait parlé par interprète. Sans se douter qu’il les
comprenait, ils s’étaient accusés devant lui du crime commis envers
leur frère. “Vraiment, se disaient-ils, nous sommes punis à cause de
notre frère ; car nous avons vu l’angoisse de son âme quand il nous
demandait grâce, et nous ne l’avons point écouté ! Voilà pourquoi
ce malheur nous est arrivé.” Ruben, qui, à Dothan, avait voulu le
délivrer, leur dit : “Ne vous avais-je pas dit : Ne commettez point
de péché contre cet enfant ? Mais vous ne m’avez pas écouté. Et
voici que son sang nous est redemandé.” En les entendant, Joseph
ne peut contenir son émotion ; il sort pour donner libre cours à ses
larmes. Lorsqu’il reparaît, il ordonne que Siméon soit lié devant eux
et reconduit en prison. La raison de ce choix était que Siméon avait
été l’instigateur et le principal auteur du crime.
Avant de les congédier, Joseph ordonna qu’on leur fournît du
blé et qu’on plaçât l’argent de chacun d’eux à l’ouverture de son
sac. On leur donna également du fourrage pour leurs bêtes pendant
le voyage de retour. Comme ils étaient en route, l’un d’eux ayant
ouvert son sac, fut surpris d’y trouver son argent. Ils furent alors
saisis de terreur et se dirent l’un à l’autre : “Qu’est-ce que Dieu nous
a fait ?” Fallait-il regarder cela comme un signe de la faveur divine,
ou comme une preuve que le Seigneur avait commencé de punir leur
forfait ? C’est à cette dernière conclusion qu’ils s’arrêtèrent.
Pendant ce temps, Jacob attendait avec inquiétude le retour de ses
fils. Dès leur arrivée, tout le camp s’assembla avec empressement au-
tour d’eux pour entendre le récit qu’ils firent à leur père de tout ce qui
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leur était arrivé. En les écoutant, chacun fut rempli d’appréhension.
L’attitude et les procédés du gouverneur égyptien leur semblaient ca-
cher quelque sinistre dessein. Leurs craintes se confirmèrent lorsqu’à
l’ouverture de leurs sacs chacun y retrouva son argent. Dans son
angoisse, Jacob poussa ce gémissement : “Vous m’avez privé de mes
enfants ! Joseph n’est plus ; Siméon n’est plus ; et vous emmèneriez
Benjamin ! C’est sur moi que tout cela retombe !” Ruben répondit :
“Tu feras mourir mes deux fils, si je ne te ramène pas Benjamin.
Confie-le moi, et je te le rendrai.” Ces véhémentes paroles ne ras-
surent pas le vieillard : “Mon fils, réplique-t-il, ne descendra point
avec vous ; car son frère est mort, et celui-ci est resté seul. S’il lui
arrivait malheur dans le voyage que vous allez entreprendre, vous