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Patriarches et Prophètes
D’un cœur joyeux, Joseph se mit en route. Pas plus que son père,
il ne se doutait de ce qui allait survenir avant d’avoir le bonheur
de se revoir. Arrivé à Sichem, après une marche longue et solitaire
de quelque quatre-vingts kilomètres, il trouva ni ses frères ni leurs
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troupeaux. Les gens de l’endroit l’envoyèrent à Dothan, quinze
kilomètres plus loin. Oubliant sa fatigue, il se remit en marche,
pressé de rassurer son père et de revoir ses frères, car il les aimait
bien malgré leur antipathie à son égard. Ceux-ci, le voyant de loin,
ne songèrent ni à sa lassitude après un si long parcours fait à leur
intention, ni aux devoirs de l’hospitalité et de l’affection. La vue
de la tunique bigarrée, signe de la préférence paternelle, exaspéra
jusqu’à la frénésie leur amertume et leur haine. “Voici l’homme aux
songes, s’écrièrent-ils en se moquant. Venez maintenant, tuons-le et
jetons-le dans une de ces citernes ; nous dirons qu’une bête féroce
l’a dévoré. Nous verrons alors ce qu’il adviendra de ses songes !”
Sans Ruben, leur dessein se fût exécuté. N’osant songer à parti-
ciper au meurtre de son frère, l’aîné proposa de le jeter vivant dans
une fosse et de l’y laisser périr ; il se réservait de le délivrer et de
le renvoyer à son père. Ses frères s’étant ralliés à son idée, Ruben,
craignant de trahir ses vrais sentiments et de faire échouer son projet,
s’éloigna.
Exempt de toute méfiance, heureux d’avoir atteint le but de sa
longue randonnée, Joseph s’attendait à recevoir un accueil amical.
Mais il fut terrifié par les regards courroucés de ses frères, qui le
saisirent et le dépouillèrent de sa robe. Leurs sarcasmes et leurs
menaces lui révélèrent leur meurtrier dessein. Ses supplications
furent vaines. Ils le traînèrent rudement jusqu’à une fosse profonde
et l’y précipitèrent. Après s’être assurés qu’il n’avait aucun moyen
de s’enfuir et qu’il était condamné à mourir de faim, ils “s’assirent
pour manger”.
Cet acte criminel ne leur donna cependant pas la satisfaction
qu’ils en espéraient. Quelques-uns même se sentaient mal à l’aise,
quand ils virent approcher un convoi de voyageurs. C’était une cara-
vane d’Ismaélites venant de l’autre côté du Jourdain, qui transpor-
taient en Égypte des épices et d’autres denrées. Alors Juda proposa
de vendre Joseph à ces négociants païens, plutôt que de le faire
mourir, “car il est notre frère, notre chair”, leur dit-il, et il leur fit
observer que cette façon de s’en débarrasser les laisserait nets de son