Page 183 - Patriarches et Proph

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Le retour de Jacob en Canaan
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sang. Tous approuvèrent la proposition, et Joseph fut immédiatement
retiré de la fosse.
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En voyant les marchands ambulants, Joseph comprit l’effroyable
vérité. Devenir esclave lui paraissait un sort plus affreux que la mort.
En vain, dans sa terreur et son affolement, s’adressait-il tantôt à
l’un, tantôt à l’autre de ses frères. Quelques-uns, émus de pitié, se
taisaient, de crainte de s’exposer au ridicule. Tous sentaient qu’ils
étaient allés trop loin pour reculer, et ils se disaient que si Joseph
était épargné, il les accuserait sûrement auprès de leur père, qui
ne laisserait pas impunie leur criminelle tentative envers son fils
favori. Fermant leur cœur aux supplications de leur jeune frère, ils
le livrèrent entre les mains des marchands idolâtres et la caravane,
continuant son chemin, fut bientôt hors de vue.
Quand Ruben retourna à la fosse, le jeune prisonnier avait dis-
paru. Consterné et rongé de remords, il déchira ses vêtements et
revint vers ses frères, en s’écriant : “L’enfant n’y est plus ; et moi,
où irai-je ?” Apprenant ce qu’on avait fait de Joseph et voyant qu’il
était impossible de l’arracher à son sort, il se laissa persuader de se
joindre à eux pour cacher leur forfait. Ils tuèrent alors un bouc, y
trempèrent la tunique de Joseph et l’apportèrent à Jacob, disant qu’ils
avaient trouvé ce vêtement dans un champ. Nous craignons que ce
ne soit celui de notre frère, lui dirent-ils. “Reconnais si c’est la robe
de ton fils, ou non.” Ce n’était pas sans une vive appréhension qu’ils
lui apportaient cette nouvelle mensongère. Mais ils ne s’étaient pas
attendus à la scène déchirante, au paroxysme de douleur dont ils
furent témoins. “C’est la robe de mon fils ! s’écria Jacob. Une bête
féroce l’a dévoré ; certainement Joseph a été mis en pièces.”
Vainement, ses fils et ses filles s’efforcèrent de le consoler. “Il
déchira ses vêtements et mit un sac sur ses reins, et il porta longtemps
le deuil de son fils.” Le temps semblait n’apporter aucun soulagement
à son chagrin. Dans son désespoir, il allait répétant : “Je rejoindrai,
en pleurant, mon fils dans le séjour des morts !” Épouvantés de
leur acte, mais redoutant les reproches de leur père, les jeunes gens
continuèrent à lui celer un crime dont le seul souvenir les faisait
frémir d’horreur.
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