La lutte nocturne
            
            
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              D’autre part, pour le tranquilliser au sujet de l’héritage paternel, il a
            
            
              soin d’ajouter : “J’ai des bœufs et des ânes, des brebis, des serviteurs
            
            
              et des servantes : j’envoie l’annoncer à mon seigneur, afin de trouver
            
            
              grâce à tes yeux.”
            
            
              Les messagers reviennent avec la nouvelle qu’Ésaü n’a fait au-
            
            
              cune réponse à la démarche amicale de son frère et qu’il n’est pas
            
            
              loin d’arriver lui-même, accompagné de quatre cents hommes. En
            
            
              proie à “une grande frayeur, et rempli d’angoisse”, Jacob comprend
            
            
              que le jour de la vengeance d’Ésaü est venu. La terreur se répand
            
            
              dans son camp. Retourner sur ses pas est impossible ; aller de l’avant
            
            
              serait insensé. Son personnel sans armes, sans défense, n’est nul-
            
            
              lement préparé à offrir une résistance. Par précaution, il partage
            
            
              son camp en deux bandes, en sorte que si l’une est attaquée, l’autre
            
            
              puisse échapper. Puis, prélevant sur ses vastes troupeaux un don
            
            
              magnifique, il l’envoie à Ésaü accompagné d’un second message
            
            
              amical.
            
            
              Maintenant qu’il a fait tout ce qui dépend de lui pour expier ses
            
            
              torts et conjurer le danger qui le menace, humblement repentant, Ja-
            
            
              cob se réclame de la protection divine et fait cette prière touchante :
            
            
              “O Éternel, tu m’as dit : Retourne dans ton pays, au lieu de ta nais-
            
            
              sance, et je te ferai du bien ! Je suis trop petit pour toutes les faveurs
            
            
              et pour toute la fidélité dont tu as usé envers ton serviteur ; car j’ai
            
            
              passé le Jourdain avec mon bâton, et maintenant, j’ai pu former deux
            
            
              troupes. Délivre-moi, je te prie, de la main de mon frère, de la main
            
            
              d’Ésaü, car je crains qu’il ne vienne me frapper, ainsi que la mère et
            
            
              les enfants.”
            
            
              [175]
            
            
              On était arrivé au torrent de Jabbok. La nuit tombait. Jacob fait
            
            
              passer le gué à sa famille et reste lui-même en arrière, car il a décidé
            
            
              de passer la nuit seul avec Dieu. L’Éternel peut toucher le cœur
            
            
              d’Ésaü : c’est en lui que le patriarche met son unique espoir.
            
            
              Cette région montagneuse et déserte servait de tanière aux bêtes
            
            
              sauvages et de repaire aux détrousseurs et aux assassins. Solitaire et
            
            
              sans protection, courbé par l’angoisse, Jacob se prosterne jusqu’en
            
            
              terre. Il est minuit. Tout ce qui lui est cher ici-bas est séparé de
            
            
              lui et court les plus grands dangers. Et ce péril où des innocents
            
            
              peuvent périr, ô amertume ! c’est lui qui en est la cause. Sa prière
            
            
              monte vers Dieu, accompagnée de cris et de larmes. Soudain, il
            
            
              sent se poser sur lui une main puissante. Croyant avoir affaire à