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Patriarches et Prophètes
Quand il vit ses jeunes gens revenir les mains vides, et sut la
réception qu’on leur avait réservée, David, profondément indigné,
leur ordonna de se préparer pour une expédition. Il était résolu à punir
l’homme qui lui refusait son dû, et qui ajoutait l’insulte à l’injustice.
Ce subit mouvement de colère du chef de bande ressemblait plus à
l’esprit de Saül qu’au sien propre et montrait qu’il avait une leçon
de patience à apprendre à l’école de l’affliction.
Or, un des serviteurs de Nabal s’était rendu en hâte vers Abigaïl,
femme de celui-ci, et lui avait raconté l’affaire en ces termes : “David
a envoyé du désert des messagers pour saluer notre maître ; mais
Nabal les a rudoyés. Cependant ces gens avaient été très bons pour
nous ; nous n’en avons reçu aucune offense, et nous n’avons subi
aucune perte pendant tout le temps que nous avons passé auprès
d’eux, lorsque nous étions dans les champs. Ils nous ont servi de
rempart, la nuit et le jour, tant que nous avons été auprès d’eux,
occupés à paître nos troupeaux. Maintenant donc réfléchis, et vois
ce que tu as à faire ; car la ruine de notre maître et de toute sa maison
est certaine.”
Sans consulter son mari ni lui faire part de ses intentions, Abigaïl
envoya à David une quantité de provisions qu’elle fit charger sur des
ânes conduits par quelques serviteurs. Elle monta elle-même sur un
âne à leur suite et rencontra le poète-guerrier et sa troupe dans un
endroit ombragé de la montagne. “Quand Abigaïl aperçut David,
elle s’empressa de descendre de son âne, et, tombant la face contre
terre en présence de David, elle se prosterna. S’étant ainsi jetée à
ses pieds, elle dit : A moi, mon seigneur, à moi la faute ! Permets à
ta servante de parler devant toi ; écoute les paroles de ta servante.”
Abigaïl abordait David avec autant de respect que si elle se fût
adressée à une tête couronnée. Nabal s’était écrié avec mépris : “Qui
est David ?” Abigaïl l’appelait : “Mon seigneur !” Par un discours
tout empreint de sagesse, de grâce et d’humilité, elle s’efforce de
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calmer son irritation. Elle proteste de son dévouement à la famille
d’Isaï et supplie le futur roi d’Israël de passer outre à l’affront de
son mari, affront qui n’a été que l’explosion d’une nature égoïste et
bourrue.
“Maintenant, ajoute-t-elle, mon seigneur, aussi vrai que l’Éternel
est vivant, et que ton âme est vivante, c’est l’Éternel qui t’a empêché
d’en venir à verser le sang et de te venger de ta propre main. Que tes