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Patriarches et Prophètes
que ce défi adressé à l’armée transie de frayeur lui était répété jour
après jour, sans qu’un seul homme eût encore osé le relever.
Dans les rangs de l’armée d’Israël, où régnait un abattement
profond, et où tout courage semblait avoir disparu, on se disait l’un
à l’autre : “Voyez-vous cet homme qui s’avance ? Il vient pour in-
sulter Israël.” Suffoqué de honte et d’indignation, et remué jusqu’au
fond de l’âme par le désir de venger l’honneur du Dieu vivant et le
prestige de son peuple, David s’écria : “Qui est donc ce Philistin,
cet incirconcis, qui ose insulter les armées du Dieu vivant ?”
Éliab, l’aîné des fils d’Isaï, qui connaissait l’audace, le courage
et la force de son jeune frère, discerna facilement les sentiments qui
s’agitaient dans son cœur. En effet, la visite du prophète Samuel
chez son père et son départ silencieux avaient fait naître chez lui
et chez ses frères des soupçons sur le vrai but de cette visite. En
outre, les honneurs dont David était l’objet avaient excité leur ja-
lousie, en sorte qu’ils ne lui rendaient pas le respect et l’affection
que leur manifestait le pastoureau, comme ils l’appelaient. Aussi,
dans la question que David venait de poser, Éliab vit-il un reproche
adressé à sa poltronnerie vis-à-vis du Philistin. Irrité, il cria à son
frère : “Pourquoi es-tu venu ici ? A qui as-tu laissé dans le désert
les quelques brebis que nous possédons ? Je connais ton orgueil et
la malice de ton cœur. C’est pour voir la bataille que tu es venu.”
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Le cadet répondit avec respect, mais avec fermeté : “Qu’ai-je donc
fait ? C’était une simple question.”
Les paroles de David furent rapportées au roi, qui se fit amener
le jeune homme. David lui tint cet étonnant langage : “Que per-
sonne ne perde courage à cause de ce Philistin ! Ton serviteur ira
combattre contre lui.” Saül chercha à le détourner de son dessein.
David, inébranlable, raconta modestement et simplement à Saül ce
qui lui était arrivé lorsqu’il gardait les troupeaux de son père. Il
ajouta : “L’Éternel, qui m’a délivré de la griffe du lion et de la griffe
de l’ours, me délivrera de la main de ce Philistin. Saül répondit à
David : Va, et que l’Éternel soit avec toi.”
Quarante jours durant, le peuple avait tremblé sous les défis
arrogants du géant. A la simple vue de ce surhomme qui mesurait
près de trois mètres de haut, au casque et aux jambières d’airain,
dont la cuirasse à écailles pesait cinq mille sicles, défiant flèches
et javelines, dont le bois de la lance était comme l’ensuble d’un