200
Patriarches et Prophètes
La vue de Jacob s’était obscurcie par l’âge ; il n’avait pas remar-
qué la présence des deux jeunes gens. Quand il les vit, il demanda :
“Qui sont ceux-ci ?” Apprenant qui ils étaient, il ajouta : “Fais-les
approcher de moi, je te prie, afin que je les bénisse.” Le patriarche
“les couvrit de baisers et les embrassa”, puis il plaça solennelle-
ment les mains sur leurs têtes, en signe de bénédiction, et prononça
ces paroles : “Que le Dieu dans la voie duquel ont marché mes
pères, Abraham et Isaac, le Dieu qui a été mon berger depuis ma
naissance jusqu’à ce jour, que l’Ange qui m’a délivré de tout mal,
bénisse ces enfants !” Jacob ne connaissait plus la propre justice, ni
les ressources de la force ou de l’habileté humaines. C’était Dieu qui
l’avait protégé et soutenu. Il ne se plaignait pas des mauvais jours
qu’il avait traversés. Il ne disait plus des épreuves et des chagrins :
“C’est sur moi que tout cela retombe !” Sa mémoire ne lui rappelait
que la miséricorde et les tendres compassions de celui qui l’avait
accompagné tout le long de son pèlerinage.
La bénédiction terminée, Jacob fit à ses fils une déclaration qui
devait rester pour les générations à venir, à travers les longues années
de leur dure servitude, un témoignage de sa foi : “Voici que je vais
mourir ; mais Dieu sera avec vous, et il vous fera retourner dans le
pays de vos pères.”
A la dernière extrémité, on convoqua tous les fils de Jacob au-
tour de son lit. Lorsqu’ils furent réunis, il parla en ces termes :
“Rassemblez-vous, et je vous ferai connaître ce qui vous arrivera
dans la suite des jours.” Que de fois, avec angoisse, il avait songé à
l’avenir, et s’était demandé quelle serait l’histoire de leurs diverses
[213]
tribus. Mais à ce moment-là, entouré de ses enfants réunis pour re-
cevoir sa dernière bénédiction, l’esprit de l’inspiration divine repose
sur lui, et l’avenir de ses fils se déroule devant ses yeux dans une
vision prophétique. L’un après l’autre, il les nomme par leurs noms,
décrit leur caractère et prédit leur histoire
Ruben, tu es mon premier-né,
Ma force, et les prémices de ma vigueur,
Le premier en dignité et le premier en puissance.
Telle eût été la position de Ruben, comme premier-né, sans le
honteux péché qu’il commit à Migdal-Éder, et qui le privait du droit
d’aînesse. Jacob continua :