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Patriarches et Prophètes
Retournant à sa tente, il se rend auprès du lit où Isaac dort du
sommeil profond et calme de la jeunesse et de l’innocence. Le
père contemple un instant le visage chéri de son fils ; puis il s’en
détourne en frémissant et regarde Sara endormie. La réveillera-t-
il pour lui permettre d’embrasser son enfant encore une fois ? Lui
communiquera-t-il l’ordre d’en haut ? Comment ne pas lui ouvrir
son cœur, et partager avec elle cette terrible responsabilité ? Mais il
se retient : Isaac n’est-il pas l’orgueil et la joie de sa mère ? La vie
de celle-ci n’est-elle pas liée à celle de son enfant ? Son affection ne
se refusera-t-elle pas à ce sacrifice ?
Le vieillard réveille alors son fils et lui annonce qu’il a reçu
l’ordre d’aller offrir un sacrifice sur une montagne éloignée. Isaac,
qui a souvent accompagné son père vers l’un ou l’autre des autels
dressés au cours de son pèlerinage, n’est pas surpris de ce réveil
insolite. Les préparatifs du voyage sont vite achevés. Le bois est
préparé et placé sur un âne. Puis le père et le fils se mettent en route,
accompagnés de deux serviteurs.
Silencieux, ils marchent côte à côte. Le patriarche, qui médite
son redoutable secret, n’est guère disposé à converser. Il pense à la
mère aimante et fière ; il se représente le jour où il rentrera seul au
foyer et il ne se dissimule nullement la souffrance qui sera celle de
sa compagne.
Cette journée — la plus longue qu’Abraham ait vécue — tire
lentement vers sa fin. Tandis qu’Isaac et les jeunes gens se livrent au
sommeil, l’homme de Dieu passe la nuit en prière, espérant encore
qu’un messager céleste viendra lui dire que l’épreuve suffit et que le
jeune homme peut retourner sain et sauf auprès de sa mère. Mais il ne
voit venir personne. Une seconde journée interminable, une seconde
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nuit de douleur et de prière s’écoule : seule continue à retentir à son
oreille la parole qui doit le laisser sans héritier. En échange, Satan
ne se fait pas faute de lui insuffler le doute et la résistance, tentations
que le vieillard repousse avec fermeté. Au matin de la troisième
journée, comme ils se mettent en route, le patriarche, regardant vers
le nord, aperçoit le signe qui lui a été promis : une nuée de gloire
suspendue au-dessus de la montagne de Morija l’assure que c’est
bien du ciel que vient la mission dont il est chargé.
Encore à ce moment-là, loin de murmurer contre Dieu, Abraham
s’encourage en pensant à la bonté et à la fidélité de son Créateur.